Contrat social & "droits" de l'homme

Publié le par Michel M Piquet

Les "droits" de l'homme ne sont pas "contractualistes"

- Il est quand même bien significatif que chez Sieyès, il ne soit pas vraiment question de contrat : pas de pacte d’aliénation totale, mais  de l’abolition des privilèges

 

- S. Rials évoque chez les Constituants, une réticence à l’individualisme contractualiste qui s’était amorcée chez Montesquieu et Hume et qui est amplifié par Ferguson ». (La Déclaration des droits de l’homme... coll. Points. p. 424)

 

- Gallot et Martel seront les seuls Constituants à évoquer rapidement dans leurs projets le contrat social . Dans le projet de Condorcet, remarque C. Fauré[1], la solitude naturelle n’est même plus évoquée : avec ce texte, nous entrons de plain pied dans la sté civile.

Et lorsque Mirabeau proposera la mention d’un contrat social (en citant textuellement une page du Contrat social de J.J. Rousseau), il sera débouté (par les lockéens "vagues", comme dit. S. Rials, op. cit. p. 202).

 

- Complémentairement, voir les efforts assez pitoyables de Maistre pour présenter la Déclaration de 1789 comme un contrat ou un pacte...voire une constitution, ie un texte juridique : il est révélateur qu’il tente de faire passer pour négociation et passation d’un contrat les discussions des constituants de 1789 sur les projets des différents « bureaux ». Ce qui lui permet de placer son principe  central : les constitutions politiques ne sont jamais le résultat d’un pacte social par lequel les individus exprimeraient leurs volontés.
Où comment rejeter un texte en invoquant ce qui ne s’y trouve pas...
[2]

 

- Hume[3] : le contrat, quand il y en a un, ne vient jamais avant les faits, mais toujours après–(comme tout ce qui est juridique: M.P.) : il n’est pas fondateur- quelqu’il soit et passé entre qui que ce soit[4]     Du fait qu’il y ait eu, peut-être, des organisations sociales qui auraient résulté de pactes, de renoncements à la liberté naturelle, on ne saurait passer au droit, on ne peut rien déduire de ce que devrait être le meilleur gouvernement, pasage indu du Sein au Sollen, dirait Kelsen. " Si les peuples obéissent, c’est plutôt par crainte et par nécessité que par un sentiment de devoir et d’obligation morale », en vertu d’une promesse contractuelle.

Et si la Déclaration de 1789 était assez humienne sur ce point ?

Hume : le principe d’utilité suffit à fonder le gouvernement et l’obéissance, et sans qu’il soit besoin d’invoquer un contrat. Il s’agit, en effet, de combattre la tendance des hommes à n’obéir qu’à leur intérêt immédiat et non à la justice. Il faudra faire en sorte que « des gouvernants traitent les règles de justice comme leur intérêt immédiat et donc y contraignent les autres., spécialement par l’habitude de la sécurité qui les accoutume à l’obéissance aux gouvernants Au point qu’ils finissent par croire qu’ils obéissent de naissance »[5]

--> parfaitement superflu de recourir à un pacte, ou contrat pour expliquer l’« allégeance », ie l’obéissance politique. Il n’y a aucun consentement et aucune fidélité à un serment comme dans le contractualisme

D’ailleurs, le respect des promesses ne tient lui-même qu’à notre conviction que si nous y manquions, il ne règnerait plus aucune sécurité dans nos relations avec les autres : toujours l’utilité.

Et donc, si l’on suppose un contrat implicite à la base du gouvernement[6], la situation serait la même : la crainte puis l’habitude sont à l’origine du gouvernement.

S’il y a eu des contrats et des promesses, dans le passé, ils n’ont été qu’occasionnellement et brièvement au fondement de l’obéissance, de l’allégeance.

 

 

- Certes, la Déclaration de 1789 porte bien : « le but de toute association politique... »

Mais il me semble que « association politique » n’est pas synonyme de contrat.
il s’agit de dire : pas d’association politique, de communauté politique possible, viable, qui aurait un autre but que la préservation des « droits » de l’homme. Autrement dit, pas de justification des arguments par l’objectif, autre que les « droits » de l’homme ; tout ce que souffrent les « droits » de l’homme depuis 1789.
« Association politique » est à mettre en parallèle avec : « le but de toute institution politique » (dans le Préambule). C’est ce que Marx n’a pas vu : la citoyenneté politique n’est pas un moyen de préserver les « droits » de l’homme égoïste. C’est le respect des DH qui assure la conservation de la société politique, de la citoyenneté, ie qui permet de ne pas sombrer dans l’égoïsme individuel a-social.  

 
(à suivre)


[1] Les déclarations des droits de l’homme de 1789, Paris, 1992, p. 20.

[2] Voir P. Glaudes « J. de Maistre et les droits de l’homme », in Romantisme et révolution(s), Paris, 2008, p. 163-164.

[3] Voir Du Contrat originel in Three Essays, moral  and political (1748)  (tome III de The Philosophical Works, éd. T.H. Green T.H. Grose, p. 446 ss. cité par D. Deleule, article « Hume » in  F. Châtelet, dir. Dictionnaire des œuvres politiques, Paris, 1986).

[4] Après la Glorieuse révolution, il n’y pas eu de contrat entre le peuple et le Roi pour faire accéder au tröne Guillaume d’Orange.

[5] Et les hommes supportent fort mal, spécialement les gouvernants, note Hume, qu’on vienne leur demander s’ils ont consenti au régime dans lequel ils vivent.

[6] Comme le font certains théoriciens de la Glorieuse Révolution de 1688 en invoquant une « Ancienne constitution » (Bolingbrooke).

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